Je suis tombé récemment sur un sujet de mémoire d'ingénieur des mines traitant de l'Uberisation de l'Etat et rapporté par Jean-Michel Billaut. J'ai trouvé que ce sujet illustrait bien la nécessité d'oublier toute contrainte de pensée lors de la conception initiale d'une stratégie de transformation numérique dans une organisation. J'ai donc cherché à imaginer ce que pourrait être un Etat Uberisé (avant de lire la note ci-dessous).
L'Uberisation, c'est la synthèse de l'économie de marché et de l'économie planifiée, de la régulation par les prix et de la régulation par l'offre, avec des moyens de production atomisés jusqu'au niveau de l'individu. L'Uberisation repose sur des règles de gestion mises en oeuvre par des algorithmes, et sur une plate-forme automatique de régulation du marché, financée par un prélèvement obligatoire sur ce marché.
Imaginons ce que pourrait être un Etat Uberisé.
Le rôle de cet Etat est le même: assurer la continuité d'en ensemble de services publics plus ou moins étendu selon la politique définie par un gouvernement, élu ou non. Les moyens de cet Etat sont cependant différents: les fonctionnaires y sont remplacés par des citoyens. Pour assurer une mission de service public, cet Etat fait un appel aux citoyens au travers d'une plate-forme de mise en relation. Chaque citoyen est tenu, pour bénéficier des services publics assurés par l'Etat au travers de cette même plate-forme, de contribuer aux missions de service public en fonction de ses compétences et des besoins de l'Etat.
L'Etat fonctionne ainsi grâce à une corvée publique étendue à l'échelle de tous les citoyens et dont la plate-forme et ses algorithmes en est le seigneur. Le tableau ci-dessous résumé la correspondance entre Etat 1.0 et Etat Uberisé.
Etat 1.0 |
Etat Uberisé |
Fonctionnaire |
Citoyen
|
Service public |
Corvée |
Plan |
Corvée prédictive par Big Data |
Politique de service public |
Incitation à la corvée |
Gestion des fonctionnaires |
Notation et clustering |
Concours d'Etat |
MOOC avec validation |
Impôt |
Obligation de corvée |
Evasion fiscale |
Rachat de corvée |
Le clef de cet Etat Uberisé est l'obligation de corvée pour tous: pour les citoyens, pour les entreprises et pour les résidents. Dans cet Etat sans fonctionnaires, les citoyens et les entreprises doivent assurer par eux-mêmes le fonctionnement de leur propre Etat. Ainsi, une entreprise de travaux routiers pourra contribuer au fonctionnement de l'Etat en assurant la maintenance de portions de routes.
Echapper à la corvée deviendra la priorité d'une partie de la population: en votant pour un gouvernement favorable à une réduction générale ou ciblée de la corvée obligatoire, ou en trouvant tout autre moyen d'y échapper. On peut seulement espérer que l'effet quasi-immédiat d'un vote de diminution de la corvée sur la dégradation du service public incitera les citoyens à voter dans un sens permettant à l'Etat Uberisé de continuer à fonctionner correctement. Encore faut-il qu'il n'existe pas de concurrence possible à ces services publics.
Les autres moyens d'échapper à la corvée offrent de belles opportunités d'améliorer le fonctionnement de l'Etat. Le rachat de corvées mises aux enchères en ligne permet de financer l'Etat. En outre, en incitant les citoyens à signaler rapidement les déficiences du service public, l'Etat peut réduire le coût de leur maintenance. Ainsi, un automobiliste pourra signaler un petit trou sur une route, nécessitant une maintenance légère. Cela peut éviter à la fois des accidents (réduction de la corvée de santé), des travaux de maintenance lourds ou de devoir engager des citoyens pour surveiller l'Etat des routes en permanence.
Il est donc naturel dans cet Etat de récompenser le signalement de défauts à bon escient par un rachat gracieux de quota de corvée.
Ce billet n'a pas d'autre prétention que d'illustrer le fait que le numérique permet d'imaginer de déployer à grande échelle des modes d'organisation qui étaient auparavant limités à des petites communautés ou qui étaient considérés comme archaïques. La corvée publique existait en France encore dans les années 50 dans le domaine de l'agriculture, et plus récemment au travers de la conscription. Son abolition fut considérée comme un progrès. Certains le regrettent, arguant de son rôle positif pour la cohésion sociale. La corvée numérique 2.0 pourrait être une réponse. RIen n'empêche d'ailleurs de l'organiser sans l'aval de l'Etat: les moyens juridiques et les incitations fiscales existent déjà.