L'autonomie stratégique ici et maintenant

Il est déjà possible avec les moyens d'une PME de se passer des GAFAM au profit d'un environnement entièrement sous contrôle, agréable à utiliser, compétitif, fondé sur des logiciels libres et exploité selon les techniques de cloud les plus modernes. Si nos Etats ou nos entreprises restent dépendants des GAFAM, acceptent leurs surcoûts considérables et prétendent depuis 10 ans qu'il reste à construire une alternative souveraine, c'est en réalité pour ne pas avoir à changer leurs habitudes alors que les solutions sont disponibles ici et maintenant auprès de PMEs.
  • Last Update:2021-10-03
  • Version:003
  • Language:fr

par Jean-Paul Smets, PDG de Nexedi

J'ai atteint ce 24 septembre 2021 l'autonomie stratégique dans le domaine du cloud. Je ne dépends plus des GAFAM ni des BAT pour mon travail quotidien. Mon environnement de travail est agréable à utiliser. Hormis quelques pilotes et l'application de cartographie de mon smartphone (Magic Earth, Pays-Bas), tous les logiciels sont libres. Le matériel des serveurs, des routeurs, des stations 5G et des PC industriels pour le edge sont en licence libre. Les processus d'exploitation du cloud sont publiés en licence libre. Et j'ai même désormais un moteur de recherche personnel qui me permet de ne plus dépendre des résultats de Google ou Baidu, parfois censurés.

Tout est copiable dans cet environnement, reproductible, améliorable, partageable à loisir, comme je veux, quand je veux et sous mon contrôle.

Je continue de travailler dans un esprit "Full Web" pour des raisons qui n'ont pas changées depuis 2015 : le Web permet d'assurer l'interopérabilité entre les systèmes d'exploitation ainsi qu'entre les groupes sociaux. Il rapproche les utilisateurs des développeurs autour d'un standard universel : HTML5. Il suffit de partager une URL pour partager une application ou un document avec mes clients ou fournisseurs.

Je travaille dans un mode "Full Cloud" : tous les services que j'utilise bénéficient d'une exploitation automatisée, reproductible et mutualisée, ce qui réduit considérablement les coûts à qualité égale. Les applications de gestion sont déployées et exploitées elles-aussi de façon automatique a l'instar d'un SaaS dont on aurait le code source et les procédures d'exploitation.

Je contribue à réduire l'impact CO2 du cloud grâce aux méthodes d'économie circulaire de Rapid.Space. Mon téléphone portable recertifié et mon ordinateur portable réparable sont fournis par des entreprises de l'alliance Fairtec pour un numérique responsable. Les technologies "Cloudless" me permettent de développer des applications Web fonctionnant sans serveur ce qui contribue à dépendre encore moins des infrastructures réseau et donc à réduire un peu plus le CO2.

Serveurs Rapid.Space recertifiés Smartphone recertifié sous /e/  Ordinateur réparable Commowns sous OS libre

Je protège ma vie privée sur mon téléphone portable grâce au navigateur Bromite. Sur mon ordinateur portable, tous mes fichiers personnels sont effacés au démarrage de façon à supprimer les traces. Lorsque je dois utiliser une application qui requiert les API de Google, les requêtes sont anonymisées par MicroG. Mes recherches résiduelles sur Google sont également anonymisées par SearX et Mynij.

Voici la liste de mes fournisseurs :

Domaine Fournisseur Remplace Réduction CO2 Logiciel libre Matériel libre Process libre
Ordinateur portable Commowns (Fairtec) Google Chromebook  
Téléphone portable /e/ (Fairtec) Google Pixel  
Cloud grand public (fichiers, bureautique, mel) /e/ (Fairtec) Google G Suite    
Cloud d'entreprise (IaaS, PaaS, IA, vRAN, Edge) Rapid.Space Amazon AWS
Application de gestion (ERP, CRM, DMS, CMS) Nexedi ERP5 Microsoft Dynamics  
Moteur de recherche Mynij Google Search  

L'alternative meilleure que le standard du marché

Lorsque l'on compare un avion de chasse F-35 à un Rafale, il est difficile d'affirmer lequel est le meilleur. Le F-35 est plus furtif, le Rafale plus agile. Comparer mon environnement de travail à celui proposé par Google, Amazon ou Microsoft peut conduire également à des conclusions opposées.

Le cloud de Rapid.Space offre à un prix imbattable des performances extraordinaires sur les bases de données d'ERP,  est présent en Chine, fait avec seulement 8 services ce qui nécessite plus de 200 services chez les autres, coûte dix moins cher que Google Kubernetes pour cloudifier une application, permet déjà de déployer des réseaux privés 5G, etc. : c'est pour moi le meilleur car il offre des fonctions indispensables avec plus de flexibilité et à un coût inférieur. Le cloud de /e/ est aussi simple que Google G Suite et me garantit que je pourrai à tout moment le rapatrier sur mes propres serveurs : c'est donc pour moi le meilleur, car Google G Suite est bloqué en Chine ou dans certains pays.

Cloud grand public par /e/

Pour ce qui est du moteur de recherche, Mynij n'est bien entendu pas comparable à Google. Le service Searx du cloud /e/ n'est qu'une surcouche sur d'autres moteurs de recherche, dont celui de Google. Se passer complètement de Google reste donc difficile, bien qu'il existe cinq moteurs de recherche européens alternatifs. Mynij offre cependant quelque chose d'unique sur le marché : la possibilité d'indexer soi-même le Web sans risque de censure, de dilution ou de relégation. Le risque de censure ne concernait jusqu'à présent que des contenus moralement contestables et sans objet dans un cadre d'entreprise. Le risque de dilution augmente avec la croissance du Web et rend les résultats de recherche moins précis dans certains contextes comme l'enseignement. Le risque de relégation par la publicité conduit à des résultats de recherche se détériorent. Face à ces risques, Mynij offre de façon autonome des résultats de recherche précis avec une rapidité extraordinaire sur un périmètre restreint tout en anonymisant les résultats de Google et en enlevant la publicité. C'est donc pour moi un meilleur moteur de recherche.

Moteur de recherche in-browser Mynij

L'autonomie stratégique du cloud est déjà possible

Je suis actionnaire de Nexedi, Rapid.Space, Mynij et /e/. Mon parcours personnel prouve qu'il est possible avec les moyens d'une PME de se passer des GAFAM au profit d'un environnement entièrement sous contrôle. Le service Polite.one démontre en outre qu'il est possible de migrer tous ses contenus depuis les grands services de cloud vers un environnement d'autonomie stratégique. Il existe par ailleurs des centaines de technologies libres de cloud qui permettent d'étendre ou d'adapter cet environnement.

Plus de cent technologies européennes de cloud

Si nos Etats ou nos entreprises restent dépendants des GAFAM et acceptent leurs surcoûts considérables, c'est donc qu'ils le veulent bien. Leur manque de volonté d'opter pour l'autonomie stratégique pourtant disponible immédiatement est aussi lié au désintérêt des électeurs ou des actionnaires qui ne comprennent pas toujours l'impact stratégique des choix informatiques. On continue d'ignorer le lien entre le choix des GAFAM et l'affaire Pierrucci ou l'affaire Pegasus. On continue de chercher des prétextes d'ordre technique ou subjectifs pour justifier de ne pas opter pour un fournisseur qui garantit l'autonomie stratégique à moindre coût.

Des actions en justice permettront peut-être de faire évoluer le comportement de l'Etat, à condition que des exigences administratives telles que SecnumCloud ne conduisent pas de facto à favoriser les technologies des GAFAM.  Si nous parvenons à changer le comportement de l'Etat acheteur, le comportement du secteur privé changera par effet d'entraînement.

L'autonomie stratégique des composants électroniques reste à construire

L'autonomie stratégique du cloud a cependant encore une limite : la production de composants électroniques. Seuls les Etats-Unis disposent d'une industrie autonome couvrant à la fois les microprocesseurs (CPU), les accélérateurs graphiques (GPU), les accélérateurs reprogrammables (FPGA), les accélérateurs de commutation de paquets (TCAM) et les convertisseurs numériques-analogiques pour la 5G (DAC). La Chine (ex. Zhaoxin, ARM China) et le Japon (ex. Fujitsu) disposent d'une autonomie partielle dans le domaine des microprocesseurs et des accélérateurs graphiques. Hormis les microprocesseurs pour applications industrielles, les accélérateurs graphiques embarqués et les transistors de puissance pour la 5G, l'Europe est devenue dépendante des Etats-Unis pour les composants fondamentaux de la 5G virtualisée (ex. Xilinx RFSOC ci-dessous).

Composant Zynq UltraScale+ RFSoC pour la 5G virtualisée

L'autonomie stratégique en matière de cloud a donc aujourd'hui pour limite l'accès au composants électroniques. L'épisode des masques pour la COVID-19, le placement de Huawei sur une liste noire ou la fin précipitée de la présence en Iran des constructeurs automobiles européens nous rappellent à quel point nous dépendons tous désormais du bon vouloir des Etats-Unis qui pourront décider quels composants sont accessibles par quelle entreprise et à quel prix. Les efforts financiers consentis en Chine pour réduire cette dépendance ou l'histoire de TSMC à Taiwan depuis 1985 donnent la mesure des efforts qu'il faudrait consentir ailleurs pour acquérir une autonomie stratégique complète au-delà du logiciel.

Face à ces enjeux, l'approche suivie par la commission européenne avec un budget de 10 milliards d'euros de fonds publics pour soutenir des projets tels que Gaia-X semble insuffisante, d'autant plus que les GAFAM savent désormais tirer partie de ces budgets pour renforcer leur présence. C'est pourquoi, nous défendons une politique de quotas technologique dans le domaine du cloud, a l'instar de celle qui existe dans le domaine de la culture, afin que les achats de cloud locaux contribuent à produire des contenus technologiques locaux, dans le domaine du logiciel pour commencer puis à terme dans celui des composants électroniques.